Le meilleur des mondes a quelques fissures

La Suisse est un pays dont la population est en principe très satisfaite. C'est ce que montre un grand sondage d'opinion réalisé par l'institut de recherche gfs.bern sur mandat de la SSR. Mais cette image d'une Suisse intacte présente aussi des fissures inquiétantes.

En cette année électorale, la SSR a voulu savoir comment se portait la population en Suisse et les Suisses à l'étranger et ce qui les préoccupait particulièrement. Pour ce faire, elle a chargé l'institut de recherche gfs.bern de réaliser l'un des plus grands sondages d'opinion jamais réalisés dans ce pays. Plus de 57'000 personnes y ont participé en avril et mai de cette année.

61% des personnes interrogées déclarent aller bien, voire très bien (notes de 8 à 10 sur une échelle de 1 à 10). Seuls cinq pour cent se déclarent non satisfaits (notes de 0 à 4). Cette satisfaction générale est surtout alimentée par la vie privée.

Le travail est certes ce à quoi les personnes interrogées consacrent le plus de temps dans leur vie quotidienne. Cependant, seuls 37 % attribuent une note de 8 ou plus à leur niveau de satisfaction professionnelle. Lorsqu'on leur demande ce qu'il faudrait pour qu'ils soient encore plus heureux, la plupart des personnes interrogées répondent : passer plus de temps dans la nature. Les autres positions sur la liste de souhaits sont : avoir plus d'argent, dormir plus et passer plus de temps avec sa famille.

Mais il y a aussi une Suisse pour qui les choses sont loin d'être roses et qui se démarque clairement de la majorité. Près d'un tiers des sondées et sondés déclare que leur situation financière est "plutôt ou très difficile". C'est particulièrement évident en Suisse italienne et en Suisse rhéto-romane. Un cinquième des personnes interrogées disent se sentir toujours ou souvent seules. Et un tiers estime que les autres habitants et habitantes du pays ne partagent pas leurs valeurs. C'est particulièrement fréquent chez les personnes ayant les revenus les plus bas et chez les plus jeunes.

Peu d'intérêt pour les thèmes de la campagne électorale

Selon le sondage, les thèmes qui ont surtout fait parler d'eux jusqu'à présent en cette année électorale ne retiennent guère l'attention de la population. 61% considèrent le "wokisme" et la question du genre comme des pseudo-problèmes. L'immigration, la neutralité et l'égalité des sexes ne figurent qu'en milieu de liste des sujets qui préoccupent les gens. Il en va autrement du changement climatique. 69% le considèrent comme un problème majeur nécessitant une action immédiate.

La démocratie directe est un facteur qui, plus que tout autre, rassemble la population : 98% sont tout à fait ou plutôt d'accord avec le fait qu'elle joue un rôle central dans l'identité suisse. En revanche, lorsqu'il s'agit de la "démocratie indirecte", c'est-à-dire des acteurs qui s'occupent de la politique à la place du peuple, le jugement des personnes interrogées est beaucoup moins positif. Seuls 4% des personnes interrogées sont entièrement d'avis que l'on peut faire confiance aux hommes et femmes politiques suisses pour agir dans l'intérêt de leurs électeurs. Si l'on y ajoute ceux qui pensent que c'est "plutôt" le cas, on arrive tout de même à 48%, ce qui ne constitue toujours pas une majorité.

Le meilleur des mondes a ses fissures

La Suisse vue de l'extérieur semble être une nation heureuse, comme le confirme la nouvelle enquête de la SSR. Mais s'agit-il d'un vrai bonheur ou d'une simple illusion ? Et que faut-il pour mener une vie épanouie ? Deux chercheurs spécialistes du bonheur apportent des réponses.

En Suisse, pays riche, sûr et idyllique, les gens devraient être particulièrement heureux. En fait, environ deux tiers des Suisses se déclarent satisfaits de leur vie, selon une enquête commandée par la SSR. La plupart des personnes interrogées se sentent en effet très souvent heureuses, calmes, épanouies et aimées.

La Suisse est également en bonne position au niveau mondial, puisqu'elle se classe huitième dans le "World Happiness Report" publié cette année par les Nations unies. Elle perd donc quatre rangs par rapport à l'année précédente, mais reste en tête de l'indice de satisfaction mondial avec les autres pays nordiques. La comparaison des pays, mais aussi d'autres enquêtes portant sur la satisfaction des gens, sont des moyens éprouvés par lesquels les chercheurs mesurent le sentiment abstrait du bonheur.

Mais cette approche est difficile : la perception de soi peut être très différente. "En Suisse, les gens pensent qu'ils doivent être heureux", explique Mathias Binswanger, économiste et chercheur sur le bonheur. "Les gens donnent des réponses positives lorsque vous les interrogez sur leur bonheur". En France ou en Italie, par exemple, la culture est différente et les gens aiment se plaindre. Ces pays obtiendraient donc souvent de moins bons résultats dans les comparaisons du bonheur moyen.

Le "biais de désirabilité sociale" semble donc particulièrement prononcé en Suisse, conformément à la devise : "Nous avons tout, donc nous devons être heureux".

Nous apprenons à bien fonctionner dans le monde des affaires, mais nous n'apprenons pas grand-chose sur la manière de vivre une bonne vie.

Selon cette hypothèse générale, nous regarderions constamment ce qui n'est pas parfait et nous nous demanderions - en nous comparant aux autres - comment nous pouvons devenir encore meilleurs. Par conséquent, nous ne nous rendons pas assez compte de facteurs importants qui déterminent notre bonheur, par exemple dans la vie sociale", explique M. Binswanger.

Pourtant, selon Bernhard Sollberger, psychologue bernois et chercheur en matière de bonheur, c'est précisément les moments de connexion aux autres qui constitue l'élément central d'une vie épanouie. "Le premier exemple est celui des relations sociales. Des relations sociales de qualité, confiantes, équilibrées, voire intimes, sont particulièrement importantes".

Dans le même temps, la connectivité pourrait également être étendue à la profession. "Une personne qui poursuit sa vocation se sentira plus attachée à ce qu'elle fait qu'une personne qui fait simplement son travail pour le bon salaire.

Près de la moitié des différences de bonheur entre les personnes peuvent être attribuées aux gènes.

L'étude de la SSR, en revanche, montre que le niveau général de bonheur en Suisse dépend davantage de la vie privée : Si 66% des personnes interrogées sont satisfaites de leur vie privée, seules 37% sont satisfaites de leur vie professionnelle. "De nombreux Suisses, ainsi que des habitants d'autres pays, passent une grande partie de leur vie dans un travail qui leur rapporte de l'argent mais peu de joie", explique M. Binswanger.

Cependant, certains Suisses sont également confrontés à la solitude dans leur vie privée. Selon l'étude, nous passons en moyenne cinq heures par jour à ne parler à personne. Un peu moins d'un cinquième des personnes interrogées se sentent seules dans la vie de tous les jours. Selon les chercheurs sur le bonheur, le sentiment de solitude en particulier rend les gens malheureux.

"Dans des pays comme la Suisse, les personnes âgées se sentent particulièrement seules. Il n'y a pas de culture de coexistence développée", déclare M. Binswanger. "Nous apprenons ici à bien fonctionner dans le monde des affaires, mais nous apprenons très peu à vivre une bonne vie.

Les jeunes souffrent également de la solitude. Une étude récente de l'Institut Gottlieb Duttweiler a montré qu'en Suisse, bien que les jeunes aient souvent plus d'amis que les personnes plus âgées, ils se sentent toujours seuls. L'une des raisons en est certainement les médias sociaux, explique le psychologue Bernhard Sollberger. "J'ai 5000 amis sur Facebook, mais je ne suis proche que de deux d'entre eux".

En revanche, un fait concernant le fait d'être heureux est incontestable : "Environ la moitié des différences de bonheur entre les personnes sont liées aux gènes", déclare Bernhard Sollberger. Les maladies et les troubles mentaux ont souvent une composante héréditaire et ont une influence énorme sur une vie heureuse.

Dans quelle mesure son propre bonheur est-il entre ses mains ? M. Sollberger mentionne le domaine de l'épigénétique, c'est-à-dire que les gènes peuvent ou non s'exprimer en fonction de notre comportement. "C'est possible, par exemple, grâce aux habitudes alimentaires, à l'exercice physique ou à la méditation - c'est une bonne nouvelle".

Mais la question est aussi de savoir si nous sommes capables de percevoir le potentiel de changement, explique M. Binswanger : "Il est toujours plus facile d'imputer son malheur aux circonstances ou aux autres que de se dire : "Je dois faire quelque chose moi-même maintenant".

C'est surtout en temps de crise qu'il faut sortir de sa zone de confort. Sollberger a analysé le comportement des Suisses lors de la pandémie de Coronavirus. Il a observé que les gens étaient plus satisfaits lorsqu'ils étaient moins préoccupés par les émotions négatives et plus pragmatiques dans leur approche.

Il n'y a probablement guère de pays où les gens vivent dans la stabilité et la prospérité depuis si longtemps.

La croissance post-traumatique fait référence au phénomène selon lequel, après une expérience négative radicale telle que la pandémie, il peut y avoir non seulement des déficiences psychologiques et sociales, mais aussi un développement personnel. La pandémie aurait certainement ouvert les yeux de certaines personnes sur ce qui constitue une vie attrayante et ce qui ne l'est pas, estime également M. Binswanger.

Toutefois, les crises mondiales tendent à être peu déterminantes pour le niveau de bonheur en Suisse. "La stabilité du pays est bien sûr un facteur important du bonheur", explique M. Binswanger. De nombreux Suisses ont suffisamment d'argent pour vivre, n'ont pas à se soucier de la guerre et peuvent se réfugier dans une nature intacte pour compenser. "Il n'y a probablement guère de pays où les gens ont vécu dans la stabilité et la prospérité pendant aussi longtemps", déclare M. Binswanger. "Nous en prenons rarement conscience".

La question demeure : l'argent rend-il vraiment plus heureux ? L'argent assure la survie quotidienne, dit M. Binswanger. "Avec peu de richesses, j'ai plus de soucis à me faire. Mais il est intéressant d'observer que dans les pays très développés comme la Suisse, l'Europe occidentale, les États-Unis, le Japon et l'Australie, le sentiment de bonheur moyen n'augmente pas davantage lorsque le produit intérieur brut par habitant est encore plus élevé.

"Un mode de pensée matérialiste n'est pas propice au bonheur", confirme également M. Sollberger. Dans son célèbre ouvrage "Haben oder Sein" (Avoir ou être), le psychologue social Erich Fromm a montré dès 1976 comment l'homme, "en tant que serviteur du système économique", veut avoir toujours plus, s'éloigne de lui-même et devient de ce fait malade et malheureux. Fromm oppose ce processus à l'existence de l'homme. Les personnes qui se définissent par leur être plutôt que par leurs possessions sont plus paisibles et plus heureuses.

Lorsqu'on s'interroge sur le bonheur, on ne peut guère passer à côté des grandes questions de l'humanité. Ni à côté d'une certaine pensée schizophrénique que M. Binswanger attribue à la population suisse : "D'un côté, les Suisses pensent qu'ils ont fait mieux que les autres. De l'autre, il y a une peur panique de rater le coche". 

Peut-être que cette ambivalence est justement un moteur pour être heureux en Suisse.

Qu'est-ce qui rend la Suisse heureuse ?

Alain Berset: "A la fin, la chose la plus importante, c'est le bonheur"

La population suisse est très majoritairement heureuse: c'est la principale conclusion d'une grande enquête réalisée par l'institut gfs.bern pour la SSR. "On ne peut franchement pas trop se plaindre en Suisse", commente le président de la Confédération Alain Berset. Mais il n'en oublie pas pour autant les gens qui ont des difficultés.

Ce tableau plutôt flatteur révélé par ce sondage n'étonne pas le président de la Confédération. "Globalement, surtout si l'on voit ce qui se passe ailleurs dans le monde, on ne peut pas trop se plaindre", souligne-t-il au micro de la RTS. Mais tout n'est pas rose, tempère-t-il. "Il y a une immense diversité dans la population, il y a toujours des problèmes à régler, il y a des gens qui ont des difficultés et c'est vis-à-vis d'eux qu'il faut qu'on soit très attentif."

Et vous, est-ce que vous êtes heureux, monsieur le président? "Oui, et de plus en plus avec la liberté qui m'attend", confesse le ministre socialiste, qui quittera son poste à la fin de l'année. Considéré comme le membre du Conseil fédéral le plus populaire et le plus influent, présenté comme un politicien extrêmement ambitieux, Alain Berset l'assure: "le pouvoir peut rendre fier, mais ne rend pas heureux". Pour lui, le bonheur est à chercher ailleurs. "C'est beaucoup plus personnel. Mais à la fin, c'est quand même la chose la plus importante."

Alors que la population se dit davantage heureuse à la maison qu'au travail, Alain Berset insiste pour sa part sur l'équilibre entre vie privée et vie professionnelle. "On peut aussi se réaliser dans les activités professionnelles. Il y a aussi du lien social, il y a aussi des émotions", avance-t-il. Loin de tordre le cou au mythe de la Suisse laborieuse, le désamour apparent d'une grande partie des sondés pour leur travail s'explique peut-être aussi par l'inflation, soupçonne le Fribourgeois. "Les coûts augmentent un peu partout et cela peut créer un certain stress dans la population."

Alain Berset se réjouit par ailleurs que la pandémie de Covid-19 ne préoccupe plus la Suisse, comme le montre le sondage. "D'ailleurs, ça ne me préoccupe plus beaucoup non plus", rigole-t-il. "La pandémie a été une épreuve brutale, terrible (...) On a vécu une situation dans laquelle l'incertitude et l'insécurité qui venaient avec la pandémie ont créé beaucoup de tensions, d'énervements, de frustrations, qui se sont parfois exprimées de manière brutale", se rappelle le ministre de la Santé. Pour lui, le plus important aujourd'hui est de permettre à chacune et chacun de réintégrer la société et de renforcer le lien social. "Cela, c'est quelque chose qui n'est pas terminé, et nous occupe encore", concède-t-il.

Face aux défis futurs, le risque du repli

Même si les Suisses accordent une grande confiance à l'Etat, aux institutions et au modèle économique helvétique, une grande partie d'entre eux affichent leur inquiétude pour les générations futures, note le sondage. La Suisse et le monde font en effet face à des enjeux et des défis énormes, constate Alain Berset, mais pour lui le plus grand risque que court le pays est de céder à la peur et de se replier sur lui-même. "Si on va dans ce sens-là, on va se rabougrir et se ratatiner. Ce serait la catastrophe", met en garde le conseiller fédéral.

"C'est justement dans les moments les plus difficiles qu'on doit avoir du courage et une envie d'avenir. C'est là qu'on doit s'engager, non seulement pour les prochaines semaines, mais aussi pour les prochaines années, les prochaines décennies", affirme-t-il. Et le président de la Confédération de rappeler qu'on fête cette année les 175 ans de la Constitution fédérale de 1848, "un texte novateur, tourné vers l'avenir, extrêmement puissant" et qui, pourtant, "apparaît à un moment de grande tension", au terme d'une guerre civile. "On a besoin du même courage aujourd'hui", conclut Alain Berset.

Interview d'Alain Berset

La population en général est satisfaite de sa vie, mais les craintes ne manquent pas, comme le montre une grande enquête de la SSR.

Julien Furrer

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La majorité des Suisses sont satisfaits de leur vie. C'est ce que montre l'une des plus grandes enquêtes jamais réalisées en Suisse, commandée par la Société suisse de radiodiffusion et télévision (SSR). Mais qu'en est-il sur le terrain?

En discutant avec des personnes de différentes régions de Suisse, on constate qu'elles sont très satisfaites et qu'elles ont différentes raisons d'être heureuses. Si les raisons du bonheur varient, le sentiment commun est qu'en Suisse, nous ne serions pas à plaindre. 

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Nouvelles spéciales du 23 août 2023 : Les préoccupations de la population suisse

Toutefois, l'enquête révèle également des points négatifs, notamment en ce qui concerne la situation financière et le nombre de personnes qui se sentent seules.

La population éprouve généralement les mêmes craintes, notamment en ce qui concerne l'augmentation du coût de la vie. Les personnes âgées s'inquiètent de l'avenir de leurs enfants et sont généralement préoccupées par les catastrophes naturelles et le changement climatique.

Enfin, une certaine méfiance à l'égard de la politique ressort à la fois de l'enquête et des entretiens.

Les Suisses entre bonheur et inquiétude

Le bonheur suisse: réalité ou illusion?

Suisses de l’étranger, comment allez-vous?

Vous aimez faire du jogging? Ou cela vous ennuie-t-il et vous préférez un sport de niche comme le bossaball? Qu’il s’agisse d’une activité classique ou insolite, si vous faites du sport au moins une fois par semaine, vous faites partie de la majorité de la population suisse. C’est ce qui ressort d’un sondage de gfs.bern, qui montre aussi pourquoi il vaut vraiment la peine d’être un-e Suisse de l'étranger.

Sous le titre «Comment se porte la Suisse?», l’institut gfs.bern a réalisé, sur mandat de la SSR, l’un des plus grands sondages d’opinion jamais menés en Suisse. Entre avril et mai 2023, 57’778 Suisses et Suissesses, en Suisse et à l'étranger, ont répondu à plus de 300 questions sur des sujets comme leur état d’esprit, la politique ou le coût de la vie. À quelle fréquence changez-vous vos draps? Faites-vous confiance aux hommes et femmes politiques en Suisse? Et avez-vous déjà été victime de discrimination en raison de votre sexe? Ce sont là trois exemples tirés du vaste catalogue de questions.

Les Suisses de l’étranger sont moins anxieux

Qu’ils et elles vivent au pays ou à l’étranger, deux tiers des détenteurs et détentrices d’un passeport rouge à croix blanche se considèrent comme des Suisses. Sans surprise, les Suisses de l’étranger sont plus nombreux à penser qu’il n’est pas nécessaire de résider en Suisse pour s’identifier au pays. Néanmoins, la moitié considère la Suisse comme le meilleur pays pour vivre. Et si pour un tiers d'entre eux et elles, avoir le passeport helvétique n’est pas essentiel, une grande partie des Suisses de l’étranger le considèrent comme un élément important de leur identité.

>> Notre débat filmé Let's Talk sur les résultats du sondage:

Vivre à l’étranger en tant que Suisse peut même avoir des effets positifs sur la santé, comme le montre encore le sondage: la population de la Cinquième Suisse se sent moins anxieuse, plus reposée, plus calme et moins déprimée. De plus, par rapport aux Suisses de l’intérieur, ceux et celles de l’étranger indiquent moins souvent être préoccupé-e-s au quotidien par la conciliation de la vie professionnelle et de la vie privée, par leur poste de travail, par leur apparence ou par un besoin d’optimisation de soi.

Ceci est-il lié au fait que les Suisses de l’étranger attachent plus d’importance au changement hebdomadaire des draps? Le sondage ne le dit pas. En revanche, ils et elles laissent volontiers tomber le nettoyage semestriel des fenêtres – comme leurs compatriotes restés au pays, même si c’est plus rare. En revanche, les Suisses de l’étranger se dégonflent plus souvent lors de leur séance de sport hebdomadaire, même si 64% se consacrent au moins une fois par semaine à leur forme physique.

S’agissant des élections fédérales de cet automne, on constate que la plupart des Suisses de l’étranger se sentent en confiance pour exercer leurs droits politiques (79%). Ce chiffre est toutefois inférieur à celui des Suisses de l’intérieur, qui sont 91% à avoir confiance en leur capacité à participer à la vie politique. En revanche, ils et elles semblent moins bien disposés à l’égard de leurs concitoyen-ne-s, leur confiance étant nettement plus faible que celle des Suisses de l’intérieur.

S’agissant du changement climatique, une nette majorité des personnes interrogées affirme qu’il est dû à l’homme et qu’il faut agir immédiatement. Les Suisses de l’étranger considèrent que la Suisse a une plus grande responsabilité dans cette lutte, mais ils sont aussi plus confiants dans la capacité de la Suisse à agir au niveau politique. Des différences apparaissent également dans la volonté de s’engager soi-même pour le climat. Alors que les Suisses de l’étranger auraient plus de mal que les Suisses de l’intérieur à renoncer à leur maison individuelle (37% ne veulent pas y renoncer du tout), ils sont plus disposés à ne pas trop chauffer, à renoncer aux chauffages à mazout et à gaz ou à renoncer partiellement aux voitures à moteur à combustion.

Avec dialogue, vivez l’actualité et le débat autrement. Discutez de sujets pertinents – quelle que soit la langue nationale. Nous nous chargeons du travail de traduction. Une équipe rédactionnelle suprarégionale sélectionne chaque semaine un nouveau thème sur lequel vous pouvez débattre. En outre, vous apprenez des choses intéressantes sur toutes les régions du pays. Un outil, créé sur la base du sondage «Comment va la Suisse?», vous montre où vous vous situez et où se situent les autres sur chaque thème.

Traduit de l’allemand par Marc-André Miserez

Suisses de l'étranger

Une "démocratie vivante" a besoin de citoyens insatisfaits, selon le politologue Marc Bühlmann

Une vaste enquête, mandatée par la SSR, s'est intéressée à l'état d'esprit des résidentes et résidents en Suisse lors du premier trimestre de l'année 2023. Marc Bühlmann, politologue et invité de La Matinale de la RTS, a souligné en quoi le bonheur des Suisses influence la vie politique du pays. 

Les résultats du sondage montrent que seuls 5% des résidents en Suisse se disent malheureux. Il ne s'agit pas d'une surprise pour Marc Bühlmann, puisque la Suisse est "toujours l'un des pays les plus heureux de la Terre", en comparaison avec les autres Etats.

Toutefois, la vie professionnelle est vue de manière plus négative dans l'enquête d'opinion réalisée par l'institut gfs.bern pour le compte de la SSR. Le directeur de l'Année politique suisse, une publication de référence dans l'analyse de la vie politique suisse, indique qu'au-delà du "bonheur personnel", la probabilité de pouvoir "réaliser" ce que l'on souhaite est plus complexe dans le monde du travail que dans la sphère privée ou politique.

Les sujets à débats ne minent pas, au contraire de l'emploi, le contentement général des Suisses. Les individus ne se préoccupent pas chaque jour du changement climatique ou de la guerre, à l'instar des partis politiques et des médias. Le rôle de ces derniers est de "montrer les choses qui ne vont pas très bien" afin de "réfléchir à ces thématiques", souligne Marc Bühlmann.

Pour engendrer du changement, une "démocratie vivante" nécessite des citoyennes et citoyens insatisfaits, ayant l'aptitude ou la volonté de changer quelque chose. Le politologue indique qu'il existe aujourd'hui de nombreux intérêts divergents, mais qu'il est difficile de procéder à des changements en Suisse.

Les personnes le souhaitant doivent prouver aux autres individus, heureux et "conservateurs" - sans sens idéologique, mais qui souhaitent garder ce qu'ils possèdent déjà - qu'il existe un problème.

Cette inertie peut-elle entrer en collision avec les enjeux actuels auxquels est confrontée la Suisse, dont la crise climatique? Marc Bühlmann précise que le narratif de la nécessité d'agir constitue un "élément principal de la politique" depuis les années soixante et septante, et les changements "illico presto" sont plutôt les fruits de dictatures.

Les individus, en fonction de leur positionnement sur l'échiquier politique, ne sont pas forcément d'accord lorsqu'un parti exige une solution d'urgence pour un problème spécifique, indique le spécialiste.

Le système politique suisse reste donc stable, notamment grâce au niveau de bonheur général. Des discours et des débats sont engendrés paisiblement, notamment avec l'outil de la démocratie directe, et les changements sont lents. Le taux de satisfaction engendre également une faible participation - environ 50% - lors des élections fédérales.

Concernant la véracité des résultats du sondage réalisé pour la SSR, le politologue de l'Université de Berne se montre prudent. Les personnes plus méfiantes de la science et des médias, "à moitié satisfaites", ne participent pas à ces enquêtes. Malgré un nombre élevé de participantes et participants, il est ainsi difficile d'être réellement représentatif de la population résidant en Suisse.

La démocratie et l'enjeu du bonheur

Répondez à nos questions

Comment définir le bonheur ? Pourquoi certains pays sont-ils plus heureux que d'autres ? Analyse de l'un des buts les plus recherchés par l'être humain.

Comment calculer le bonheur d'une nation et de sa population ? Le rapport sur le bonheur dans le monde, parrainé par les Nations unies, utilise depuis dix ans un ensemble de paramètres : soutien social, revenu, santé, liberté, générosité et absence de corruption. L'enquête est menée auprès d'un échantillon de personnes âgées de 15 ans et plus, qui doivent répondre à des questions précises sur une échelle de 0 à 10, où 0 est le pire résultat et 10 le meilleur.

D'une manière générale, il a été constaté que malgré la pandémie et la guerre en Ukraine, les niveaux de gentillesse et d'écoute des autres sont plus élevés qu'avant Covid.

Le lundi 20 mars, Journée mondiale du bonheur, cette statistique a été présentée. Pour la sixième année consécutive, la Finlande est en tête du classement, suivie du Danemark et de l'Islande. La Suisse occupe la huitième place, en recul de quatre places par rapport à l'année dernière. Israël, en quatrième position, brise la domination "nordique", laissant derrière elle les Pays-Bas, la Suède et la Norvège.

Ainsi, les pays d'Europe du Nord brillent dans ce classement, reflétant l'image d'une société solide, riche et généreuse, saine et démocratique. Les derniers sur la liste sont le Liban et l'Afghanistan, le premier confronté à une crise économique sans précédent et le second déchiré par la guerre et contrôlé par le régime des Talibans.

Mais tout est-il si linéaire ? Le cas de l'Islande

Pour beaucoup, en tout cas, le bonheur est un sentiment qui implique trop de variables pour qu'il soit possible de l'encadrer dans un modèle unique. Prenons l'exemple de l'Islande, qui occupe la troisième place. Selon une étude récente de l'Organisation de coopération et de développement (OCDE), c'est précisément là que se trouve la plus forte consommation d'antidépresseurs en Europe, une consommation qui, il faut le dire, a doublé en moyenne dans tous les pays européens au cours des 20 dernières années. Au pays des volcans et des geysers, 153 comprimés sont consommés par jour et par millier d'habitants.

Mais il y a d'autres facteurs à prendre en compte. Les analystes de l'OCDE eux-mêmes soulignent que cette augmentation serait attribuable à l'amélioration de la capacité à diagnostiquer la maladie, à la disponibilité des traitements et à l'évolution des lignes directrices.

Au fur et à mesure que nous avançons dans le sujet du calcul du bonheur, nous nous rendons compte qu'à chaque étape, de nouveaux scénarios, de nouveaux contenus, s'ouvrent à nous. Examinons ensemble un autre aspect, celui du climat. Les pays nordiques mentionnés ci-dessus sont confrontés à des climats rudes et à des hivers longs et sombres. Cela nous amène à penser qu'il est un peu difficile d'être heureux dans ces pays. Mais il n'en est rien. Sur cet aspect, nous sommes aidés par un chercheur italien, Ruben Durante, qui a souligné en 2010 qu'un climat rude incite les humains à coopérer davantage et donc à développer un bien-être plus robuste, comme c'est le cas en Suède, en Finlande et en Islande.

Une autre étude, cette fois-ci liée uniquement au climat, nous apprend que la température idéale pour être heureux est de 22 degrés. Pourquoi ? Selon des experts australiens et chinois, auteurs d'une étude portant sur plus de 1,5 million de personnes aux États-Unis et en Chine, les personnes vivant dans des climats tempérés seraient plus sociables et plus stables sur le plan émotionnel. Les climats agréables permettent aux humains de sortir plus souvent, ce qui accroît les interactions sociales.

C'est la question des questions : l'argent fait-il le bonheur? Il y a deux courants de pensée diamétralement opposés sur ce sujet. Il y a ceux qui disent que dans la vie, il faut simplement être content pour être heureux, et ceux qui estiment que la relation entre le pouvoir économique et le bonheur est inéluctable. Toujours dans la ligne tracée jusqu'à présent, nous suivons une autre étude, celle des deux prix Nobel d'économie Daniel Kahneman et Angus Deaton de l'Université de Princenton, qui ont affirmé en 2010 que le bonheur quotidien (aux Etats-Unis) augmentait avec le revenu annuel, mais se stabilisait au-delà de 75'000 dollars. Un argument contesté par la suite par un chercheur de l'Université de Pennsylvanie. Pour y parvenir, les deux instituts ont donc décidé d'unir leurs forces pour trouver la "vérité". Eh bien, voici la réponse qui a émergé : plus on est riche, plus on est heureux si on est émotionnellement stable. Si, en revanche, vous vivez dans un état de malheur préalable, l'augmentation des revenus n'ira pas de pair avec un plus grand bonheur.

Après avoir éplucher notre oignon du bonheur, couche après couche, il est encore difficile de comprendre comment on peut définir le bonheur. Avec l'aide de la sagesse indienne, il nous est permis de relativiser. Une célèbre parabole raconte l'histoire de six sages aveugles qui rencontrent un éléphant pour la première fois. Leur tâche consiste à le décrire et à le définir en touchant une seule partie du corps de l'animal. Le premier touche la trompe et dit que l'éléphant est comme un serpent. Le second caresse l'oreille et affirme qu'il est comme un ventilateur. Le troisième saisit la queue et juge qu'il s'agit d'une corde, le quatrième saisit la défense et est sûr qu'il s'agit d'une lance, et le dernier touche le corps, qu'il décrit comme un mur. En bref, personne ne peut définir l'éléphant pour ce qu'il est, mais tous sont certains de l'avoir décrit de la bonne manière. Il nous semble qu'il en va de même pour le bonheur. Il n'existe pas d'études capables de nous donner une image complète de ce sentiment, mais seulement des vues et des interprétations partielles.

Le bonheur est une poupée russe

La Suisse est un pays heureux. C'est en tout cas la conclusion d'un grand sondage de la SSR. Qu'en pensez-vous?

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