Voici à quoi devrait ressembler une Suisse décarbonée en 2050

En juin, l’électorat suisse a entériné l’ambition de la Confédération d’atteindre la neutralité climatique en 2050. Selon plusieurs études, il est possible d’assurer la sécurité de l’approvisionnement énergétique du pays, même sans énergies fossiles. Mais des changements importants de comportement seront nécessaires, selon un expert en transition énergétique.   

En 2050, la Suisse ne devra plus rejeter dans l’atmosphère davantage de gaz à effet de serre que ce que les réservoirs naturels et artificiels peuvent absorber. C’est l’objectif fixé par la Confédération et validé par 59% des voix en votation populaire. Mais les questions ouvertes restent nombreuses.

À quoi ressemblera une Suisse sans – ou très peu – d’énergies fossiles?

Un immeuble chauffé grâce à la seule chaleur de ses occupant-es et qui se refroidit avec des clapets faisant office de climatisation: à Lucerne, le projet pilote «2226» permet de se faire une idée de ce à quoi ressemblera l’architecture du futur.

Pour ses concepteurs, cet immeuble, pour l’heure unique en Suisse, n’offre que des avantages. «Sa consommation d’énergie représente un tiers de la consommation d’un bâtiment classique équipé d’un chauffage et d’une climatisation. Nous faisons des économies tout en réduisant les émissions de CO2», explique son directeur Thies Böke, interrogé par la RTS.

Pour atteindre l’objectif climatique de la Confédération, ce type de constructions devrait se multiplier au cours des 30 prochaines années. Bâtiments bien isolés chauffés avec des pompes à chaleur, voitures électriques et camions à hydrogène, développement des panneaux solaires, de l’énergie éolienne, machines à capturer les rejets inévitables de CO2: c’est par un mix de mesures que la Confédération entend atteindre son but.

Les émissions de CO2 générées par les transports, le chauffage, le refroidissement des bâtiments et l’industrie pourront être réduites jusqu’à 95% grâce aux technologies actuelles et à l’utilisation d’énergies renouvelables, assure la Confédération. Il sera également possible de réduire l’utilisation d’autres gaz à effet de serre, en particulier dans l’agriculture. La compensation des émissions restantes sera assurée par les puits naturels de CO2, comme les forêts et les sols, ainsi que par des technologies capables de retirer des gaz à effet de serre de l’atmosphère ou de les capturer directement là où ils sont produits, par exemple dans les usines d’incinération, pour ensuite les stocker durablement.

«De toute façon, cette transition va avoir lieu, qu’on le veuille ou non. Le pétrole va tôt ou tard venir à manquer et l’Europe n’a pas d’autre choix que de miser sur les énergies renouvelables», souligne l’ingénieur Marc Muller, expert indépendant spécialisé dans la transition énergétique.

Partant du principe que le coût de l’inaction est bien plus élevé que celui de l’action, le monde politique va se serrer les coudes et travailler rapidement pour trouver des solutions, malgré la lenteur des processus démocratiques en Suisse, estime Marc Muller. «La Suisse a déjà prouvé plusieurs fois par le passé qu’elle savait agir vite lorsqu’on était sous pression», dit-il. Ce sera un facteur déterminant pour la réussite de cette transition. «Plus on aura repris rapidement le contrôle de notre production énergétique, moins on sera soumis au risque de subir les conséquences potentiellement dévastatrices de la raréfaction des énergies au niveau mondial», souligne Marc Muller.

La sécurité de l’approvisionnement énergétique pourra-t-elle être garantie?

Oui, si l’on en croit deux études parues peu avant la votation. La première, publiée le 24 mai par des experts du Centre de la science de l’énergie de l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), arrive à la conclusion qu’il est possible d’atteindre cet objectif à la fois d’un point de vue technique et économique. Le moyen d’y parvenir est d’électrifier les transports et le chauffage, car cela va permettre de faire baisser la demande globale en énergie.

Ces transformations énergétiques vont certes faire augmenter la demande en électricité, de 60 térawattheures (TWh) à l’heure actuelle à une fourchette comprise entre 80 à 100 TWh en 2050. Mais cette demande pourra être comblée en augmentant la quantité d’énergie renouvelable produite en Suisse et en échangeant de l’électricité avec les pays voisins, estiment les chercheurs de l’EPFZ.

La seconde étude, publiée le 30 mai par des chercheurs de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et de la Haute École spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO), franchit un pas supplémentaire, puisqu’elle estime que la Suisse pourrait atteindre la neutralité carbone en 2050 sans devoir importer de l’électricité. La clé réside dans la production massive d’électricité photovoltaïque en été et son stockage partiel dans les barrages pour être utilisée en hiver.

Environ 60% des toitures du pays devraient dans ce scénario être couverts de panneaux solaires. La production d’énergie éolienne devrait également être augmentée en hiver. En plus d’être moins polluant, ce système énergétique du futur sera moins coûteux, selon les chercheurs. Il n’y aurait en effet plus besoin de mettre la main au porte-monnaie pour importer du pétrole, du gaz ou de l’électricité, ce qui engendrerait des économies de l’ordre de 30% à long terme.

La population devra-t-elle changer ses habitudes pour y parvenir?

Sans aucun doute. «Ce n’est pas toujours mis en évidence dans les rapports, mais on ne peut pas atteindre ces objectifs sans des mesures de sobriété sévères», souligne Marc Muller. À l’heure actuelle, il n’existe par exemple pas d’alternative viable permettant de décarboner le secteur aérien. «Pour permettre de faire voler tous les avions de manière propre, cela nécessiterait 30% de l’électricité produite mondialement. C’est indécent, si l’on pense que 1% seulement de la population mondiale utilise ce moyen de transport régulièrement», affirme Marc Muller.

Aux yeux de l’expert, il faudra aussi rapatrier une partie de la production industrielle sur notre territoire et diminuer drastiquement les importations en provenance d’Asie ou d’ailleurs. Au risque sinon de faire payer aux autres pays le coût de cette transition. «Mais on n’aime pas trop le dire dans un pays qui a construit sa prospérité grâce au libre commerce et aux marchés ouverts», relève Marc Muller.

Il s’agira aussi de convaincre la minorité importante (41%) de personnes qui ont glissé un «non» dans l’urne en juin. «Jusqu’à présent, on a rendu l’écologie aussi indésirable que possible», souligne Marc Muller. L’expert plaide en faveur d’un allégement des normes et des contraintes afin de rendre l’accès à un mode de vie décarboné plus agréable. «Il faut par exemple remplir de nombreux formulaires pour changer son chauffage alors qu’on peut prendre l’avion 50 fois par année sans aucune entrave. Il faut que cela change», souligne l’expert.

D’autres pays se dirigent-ils aussi vers une neutralité carbone?

Selon la plateforme Net Zero Tracker, 148 pays membres des Nations unies (sur 198) ont annoncé qu'ils souhaitaient atteindre la neutralité climatique. Ensemble, ils représentent 88% des émissions mondiales et 85% de la population de la planète. La plupart d'entre eux ont l'intention d'y parvenir d'ici à 2050. Mais certains pays sont plus ambitieux, à l’instar de la Finlande (2035) ou de l'Allemagne (2045). La Chine et la Russie, qui comptent parmi les plus grandes économies émettrices du monde, visent 2060.

En 2019, le Royaume-Uni est devenu le premier grand pays industrialisé à traduire dans la loi son engagement en faveur d’un passage à zéro émission nette de gaz à effet de serre. Au total, si l'on inclut le vote en Suisse en juin, 26 pays ont inscrit la neutralité climatique dans leur législation. Il s'agit notamment de la France, de l'Allemagne, de l'Espagne, du Danemark, du Japon et de la Corée du Sud.

«Aucun pays n’a trouvé LA solution idéale, mais les pays nordiques peuvent être une source d’inspiration. J’admire l’exemple danois, où deux tiers des parcs éoliens sont la propriété des citoyens. La transition écologique va ainsi de pair avec une démocratisation des infrastructures énergétiques», affirme Marc Muller.

Une Suisse climatiquement neutre

Les COP sur le climat ont-elles encore du sens?

Les émissions de CO2 continuent d'augmenter

Le monde s'éloigne de plus en plus de la réalisation des objectifs de l'Accord de Paris sur le climat. Telle est la conclusion d'un nouveau rapport du Programme des Nations unies pour l'environnement. Mais il y a aussi des lueurs d'espoir.

Julien Furrer

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Les émissions mondiales devraient en fait diminuer rapidement pour limiter le réchauffement climatique à moins de 2 degrés, si possible à 1,5 degré, comme convenu à Paris en 2015. Toutefois, l'écart entre ce qui serait nécessaire pour atteindre ces objectifs climatiques et les émissions réelles n'a cessé de se creuser. C'est ce que montre le nouveau rapport sur le déficit d'émissions du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE).

Entre 2021 et 2022, les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont augmenté de 1,2% pour atteindre un nouveau record de 57,4 gigatonnes (57,4 milliards de tonnes).

Les émissions sont en baisse dans de nombreux pays industrialisés, dont la Suisse. Mais ce bilan désagréable est dû au fait que des pays très peuplés, comme l'Inde et la Chine, émettent à nouveau beaucoup plus de CO2 après la pandémie. Et aussi au fait que les émissions des pays développés sont toujours plus "délocalisées" grâce aux mécanismes de "compensation" des émissions de gaz carbonique. 

Les auteurs du rapport ont résumé les promesses et les objectifs des pays. On voit ainsi que des mesures ont déjà été prises dans le monde entier et que d'autres sont prévues. Ils estiment qu'avec ces mesures, un réchauffement de la Terre de 2,5 à 3 degrés d'ici la fin du siècle devrait être atteint. C'est nettement plus que ce qui a été convenu à Paris en 2015. Cependant, les prévisions de l'époque tablaient encore sur un réchauffement de près de 4 degrés Celsius.

Le problème est que les mesures prises par les pays jusqu'à présent ne sont tout simplement pas suffisantes. De nombreux pays développent la production d'énergie renouvelable, en particulier l'énergie solaire et éolienne. Dans le même temps, ils continuent de dépendre du charbon, du pétrole et du gaz.

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De plus en plus de véhicules électriques sont mis en circulation. Mais le trafic aérien nuisible au climat est pratiquement revenu aux niveaux d'avant la pandémie. En outre, des évolutions inégales peuvent être observées au sein des pays. Alors que la population riche a encore augmenté ses émissions de CO2, même dans les pays industrialisés, celles-ci diminuent en moyenne.

Les pays industrialisés sont mis au défi

Les pays industrialisés sont toujours historiquement responsables du changement climatique. Le PNUE appelle ces pays à être eux-mêmes plus ambitieux et à soutenir les pays du Sud. L'objectif est d'aider un plus grand nombre de personnes à sortir de la pauvreté sans augmenter les émissions de gaz à effet de serre.

L'énergie verte, par exemple, n'est pas seulement respectueuse du climat. L'expansion de l'énergie solaire et éolienne est également moins coûteuse que celle des centrales à combustibles fossiles. Selon le dernier rapport, elle crée également plus d'emplois et est moins nocive pour la santé.

Le rapport du PNUE part du principe que les émissions mondiales atteindront leur maximum avant 2030 et qu'elles diminueront ensuite. Cela est principalement dû au fait que la Chine fait progresser l'expansion des centrales solaires et éoliennes beaucoup plus rapidement qu'on ne le pensait auparavant.

Si les émissions diminuent bientôt, ce ne sera pas le signe que les efforts doivent s'arrêter. Cependant, ce serait la preuve que des mesures de lutte contre le changement climatique sont possibles et efficaces, dans une certaine mesure.

Lors de la Conférence sur le climat à Dubaï, qui a débuté le 30 novembre, les États sont invités à prendre précisément des mesures ambitieuses de ce type. C'est le seul moyen de saisir la toute dernière chance et de maintenir en vie l'objectif de 1,5 degré - un objectif en réalité déjà dépassé, selon les scientifiques du Global Carbon Project, dans une étude de référence présentée à la COP28.

Objectifs de l'Accord de Paris

Quand la COP28 se mue en World Economic Forum

Parmi les 100'000 participants à la COP28, nombreux sont ceux qui représentent le monde des affaires. Cette situation n'est pas nécessairement favorable aux progrès dans la lutte contre le changement climatique.

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Près de 100'000 femmes et hommes originaires de près de 200 pays se sont rendus à Dubaï pour la COP28, qu'il s'agisse de conseillers ou de jeunes conférenciers. Bien qu'il n'y ait pas de chiffres exacts, il est clair que le nombre de participants issus du secteur privé n'a jamais été aussi élevé.

Dubaï est un lieu de rencontre pour une grande variété d'entreprises qui ont un rapport parfois distendu avec la protection du climat et avec la protection de l'environnement au sens large. Le secteur financier suisse est également bien représenté.

La conférence sur le climat a pris l'allure d'un deuxième Forum économique mondial, un WEF, déclare par exemple la secrétaire d'État suisse aux questions financières internationales, Daniela Stoffel.

Selon Daniela Stoffel, il faut décider si la protection du climat et de l'environnement doivent également être évaluée en termes économiques. En définitive, des mesures doivent être prises pour "préserver une nature nécessaire d'un point de vue économique - et qui assure notre avenir commun sur la planète".

Par conséquent, les produits financiers qui génèrent un bénéfice si l'environnement est protégé sont devenus un sujet majeur dans l'industrie. Ils sont négociés, discutés et vendus à Dubaï.

Outre la représentante de la place financière suisse, un chef de projet kenyan recherche également des donateurs pour son projet de reforestation. Jonathan Muriuku, de Restore Africa, est convaincu qu'il les trouvera ici. "Notre projet a suscité beaucoup d'intérêt lors d'un forum d'investisseurs qui s'est tenu hier", déclare-t-il.

Le lobby pétrolier veut retarder les négociations

De nombreux représentants d'entreprises à la COP28 ne sont donc pas directement impliqués dans les négociations des Nations unies sur le climat. Ils ont néanmoins pris l'avion pour Dubaï.

Les représentants du lobby des combustibles fossiles ne cherchent pas à obtenir une protection ambitieuse du climat, mais à retarder les négociations.

Cela fera-t-il progresser la protection du climat? Oui et non, répond Stefan Salzmann. Il est responsable de la politique énergétique et climatique au sein de l'organisation d'aide Fastenaktion et est observateur à Dubaï.

"Si les intérêts économiques vont à l'encontre des objectifs de l'Accord de Paris sur le climat, c'est critique pour la protection du climat", affirme-t-il. Stefan Salzmann note en particulier que le lobby des combustibles fossiles est fortement représenté à Dubaï. "Leur objectif n'est pas de parvenir à une protection ambitieuse du climat, mais de retarder les négociations. Ce n'est pas bon."

Des promoteurs importants pour les énergies renouvelables

D'un autre côté, il est bon que de nombreuses entreprises veuillent s'impliquer dans l'expansion des énergies renouvelables, par exemple. Lors de la COP28, ils ont fait pression sur les États pour qu'ils s'engagent clairement à renforcer la protection du climat. Cependant, la population locale ne doit pas être oubliée, souligne le représentant de l'organisation humanitaire.

Il semble évident que la simple présence d'un si grand nombre de représentants du secteur privé montre que la politique climatique touche et intéresse désormais tous les domaines de la société et de l'économie. Les choses étaient très différentes il y a encore quelques années.

Le monde économique et la COP28

Enfouissement du CO2: la Suisse commence par l'Islande

Premiers résultats encourageants d'une étude menée par l'ETH de Zurich sur une technologie permettant d'éliminer le dioxyde de carbone de l'atmosphère.

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Capter le dioxyde de carbone et le renvoyer dans les entrailles de la Terre, d'où il provient, en fin de compte. Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre à zéro d'ici 2050, comme le prévoit la loi sur le CO2, il ne suffit pas de promouvoir les énergies renouvelables, il faut aussi se concentrer sur les technologies dites à émissions négatives. L'ETH de Zurich a réalisé une étude de faisabilité: "Nous avons étudié comment ces technologies peuvent être mises en œuvre à grande échelle et servir précisément la stratégie climatique suisse", explique Marco Mazzotti, professeur à l'ETHZ, qui coordonne depuis deux ans les recherches menées dans le cadre du mandat fédéral et impliquant l'industrie.

Pour évaluer le potentiel de ces nouvelles méthodes, explique le chercheur, "nous avons étudié l'utilisation et le stockage permanent du CO2 dans du béton de démolition qui peut ensuite être recyclé, ou le stockage du dioxyde de carbone sous terre dans des formations géologiques appropriées. Nous avons travaillé avec l'Islande parce que le basalte qui s'y trouve est très réactif au CO2. Injecté, dissous dans l'eau, il réagit rapidement et se minéralise, devenant une pierre".

Ces nouvelles technologies se sont avérées économiquement durables et qui ont un bilan climatique positif, y compris ce stockage. "Le système de captage, de transport et de stockage du CO2 de la Suisse à l'Islande implique bien sûr des éléments qui nécessitent de l'énergie et provoquent des émissions indirectes de CO2. Ces émissions doivent être inférieures à ce que nous transportons et stockons. Le bilan a donné un rendement de 80%, c'est-à-dire le pourcentage de CO2 effectivement éliminé de l'atmosphère".

Cette année, la Suisse a été le premier pays à exporter du CO2 à l'étranger en vue de son stockage. Les nouvelles technologies sont très prometteuses, mais ce n'est qu'un début, prévient le professeur Mazzotti: "En tant que chercheur, mon rôle est de transférer le plus rapidement possible dans l'application ce que nous avons appris dans la recherche, et soutenir les entreprises, les émetteurs qui souhaitent mettre en œuvre ces technologies à plus grande échelle".

Il s'agit également d'un défi politique. La Suisse, comme d'autres États, devra élaborer des cadres réglementaires pour le transport et le stockage du CO2. Il reste beaucoup à faire. Le travail des chercheurs de l'ETHZ se poursuit également. Dans une prochaine étape, ils prévoient d'étudier le sous-sol de la Suisse pour voir s'il offre un potentiel intéressant pour l'enfouissement du dioxyde de carbone.

Enfouissement du CO2

La Terre est sur le point de franchir 5 points de non-retour pour le climat

Le réchauffement climatique a entraîné l'effondrement des calottes glaciaires, le dégel du permafrost, l'arrêt du courant nord-atlantique et la disparition des récifs coralliens.

En raison du réchauffement climatique, le système terrestre est désormais sur le point de franchir cinq points de basculement climatiques critiques (l'effondrement des calottes glaciaires du Groenland et de l'Antarctique occidental, le dégel généralisé du pergélisol, l'arrêt du courant marin du Labrador dans l'Atlantique Nord et la disparition des récifs coralliens), tandis que trois autres pourraient être franchis au cours de la prochaine décennie.

Le Global Tipping Points Report, produit par un groupe de plus de 200 chercheurs de 26 pays et coordonné par l'Université d'Exeter, en collaboration avec le Bezos Earth Fund, tire la sonnette d'alarme lors de la COP 28 à Dubaï.

Le réchauffement climatique, qui se rapproche de plus en plus du seuil de 1,5 degré par rapport à l'ère préindustrielle, modifie progressivement l'équilibre de la planète. Comme dans tous les systèmes complexes, il existe des points et des endroits plus sensibles au changement et d'autres plus résistants, mais aucun point d'équilibre ne peut durer éternellement: au-delà d'un certain niveau de pression, les chercheurs notent qu'il n'y a pas de retour en arrière possible.

Ces points critiques "représentent des menaces d'une ampleur inédite pour l'humanité", explique Tim Lenton, du Global Systems Institute de l'université d'Exeter. "Ils peuvent déclencher des effets domino dévastateurs, notamment la perte d'écosystèmes entiers et de la capacité à produire des cultures essentielles, avec des impacts sociaux tels que les migrations massives, l'instabilité politique et l'effondrement financier". D'un autre côté, il existe également de nombreux tournants positifs qui peuvent accélérer la transition vers une économie à émissions nulles ou négatives.

"Cela se produit déjà dans des domaines allant des énergies renouvelables et des véhicules électriques aux mouvements sociaux et aux régimes alimentaires à base de plantes. Le moment est venu", ajoute Tim Lenton, "de déclencher une cascade de tournants positifs pour assurer un avenir sûr, juste et durable à l'humanité".

Les points de non-retour climatique

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Climat, ralentir ou périr? Le débat autour de la décroissance bat son plein

Pour faire face au défi du changement climatique, le chercheur en économie écologique Timothée Parrique prône la décroissance et la transition vers une économie post-capitaliste.

L'année 2023 devrait être la plus chaude jamais enregistrée. Sur les onze premiers mois de l’année, la température moyenne mondiale se situait 1,4 degré au-dessus de celle de l’ère préindustrielle, selon le programme Copernicus de l'Union européenne. Lors de la COP28, qui se termine dans quelques jours, les Etats font le bilan de leurs engagements en termes de réduction des gaz à effet de serre. Mais pour l'instant l'objectif posé en 2015 lors de l'Accord de Paris - contenir l'augmentation de la température globale bien en dessous de 2 degrés - semble de plus en plus illusoire.

L'un des défis majeurs pour tenter de limiter le changement climatique, mais aussi plus généralement les atteintes à l'environnement et la biodiversité, est l'adaptation des activités économiques humaines. Pour certains économistes, comme Timothée Parrique, invité de Géopolitis, cette adaptation doit passer par la décroissance: "On se rend compte que quand on fait grossir une économie, c'est-à-dire quand on produit et qu’on consomme plus, ce que l’on vient mesurer avec une augmentation du produit intérieur brut (PIB), on a tendance à voir un alourdissement de ce que l'on appelle l'empreinte écologique. On peut parler des gaz à effet de serre, mais aussi de l'utilisation des métaux, des minerais, des prélèvements en eau, de l'utilisation des sols et bien sûr des impacts avec les pollutions locales et globales, les impacts sur la biodiversité. Donc déjà, pour commencer, il va falloir prendre la décision de ralentir, de se dire que notre rythme aujourd'hui est insoutenable."

La ressource naturelle la plus souhaitable, c'est celle que l'on n'a pas besoin d'utiliser.

Pour Timothée Parrique, qui a publié en 2022 le livre "Ralentir ou périr, l'économie de la décroissance", l'humanité vit à "crédit écologique" et doit adopter des mesures en vue de réduire la consommation et la production globales. Le chercheur en économie écologique à l'Université suédoise de Lund estime que l'amélioration de l'efficacité, par le progrès technologique, les innovations, peut permettre de diminuer l'impact des activités économiques sur la planète, mais ces solutions ne sont pas suffisantes. Il prône en complément la mise en place de stratégies d'"évitement" en soulignant que "la ressource naturelle la plus souhaitable, c'est celle que l'on n'a pas besoin d'utiliser". Timothée Parrique, qui définit son modèle comme celui de la post-croissance ou du post-capitalisme, estime qu'il est nécessaire d'"inventer un autre système".

Sa position ne fait pas l'unanimité au sein des différents courants des sciences économiques qui travaillent sur les questions environnementales et climatiques. Pour de nombreux économistes, des solutions existent déjà actuellement pour faire face à ces défis. Kenza Benhima, professeure d'économie à l'Université de Lausanne et directrice de l’Institut CREA, cite par exemple la taxe carbone, qui renchérit le prix des produits qui émettent beaucoup de CO2 et qui fournit aussi des revenus fiscaux que les Etats peuvent redistribuer pour accompagner les citoyens face à ces changements. Elle donne aussi l'exemple des marchés de quotas, qui permettent d’échanger des droits d’émission de gaz à effet de serre. Ces solutions fonctionnent, selon elle, mais doivent être déployées beaucoup plus largement.

"L'Europe justement a mis en place les ETS [le marché de quotas d'émission de l'Union européenne] qui ont été assez efficaces pour faire baisser les émissions. Il y a la Grande-Bretagne par exemple qui a complètement transitionné du charbon vers le gaz. Et c'est grâce à une taxe carbone, tout simplement, en rendant le charbon trop cher, non rentable. Donc, on voit des exemples où cela marche et il ne reste plus qu'à aller beaucoup plus loin", estime Kenza Benhima. Au Royaume-Uni, les émissions de CO2 par habitant ont diminué alors que le croissance économique se poursuivait, selon l'analyse d'Our World in Data. "Il ne suffira pas juste de transformer, avec une petite taxe ici et là, un petit peu plus de recyclage. On a vraiment besoin d'un grand changement", rétorque Timothée Parrique.

Kenza Benhima rejoint les partisans de la décroissance sur la nécessité de mettre en place des politiques très fortes, mais elle se distancie d’eux sur les mesures à mettre en place: "Autant ceux que l'on pourrait appeler les croissantistes font le pari insensé que c'est la technologie qui va nous sauver, les décroissants font le pari insensé que la nature humaine va nous changer et que la révolution va nous donner le résultat que l'on voudrait". "Ma vision, c'est plutôt que si on a des objectifs même très ambitieux par rapport à la transition écologique, on va quand même essayer de le faire en minimisant les impacts sur l'économie. Pour moi, c’est cela la croissance verte", précise la chercheuse.

Pour avancer plus rapidement dans la transition, les consommateurs, les électeurs doivent se mobiliser, selon Kenza Benhima: "On doit faire des sacrifices pour des gens qu'on ne connaît pas, qui vivent dans d'autres pays, des gens qui ne sont pas nés. Et ça, c'est le vrai challenge." D’ici 2050, le Giec estime que le changement climatique causera la mort de 250'000 personnes par an, dont plus de la moitié en Afrique.

On peut avoir des objectifs même très ambitieux par rapport à la transition écologique, mais quand même essayer de le faire en minimisant les impacts sur l'économie.

Pour Timothée Parrique, un rééquilibrage doit avoir lieu. "Les chiffres sont clairs sur les inégalités environnementales. Les émissions des 1% les plus riches à l'échelle de la planète correspondent au même volume que les émissions des 66% les plus pauvres. Donc, on voit bien que la décroissance des régions les plus riches va être nécessaire pour un meilleur partage, un partage plus équitable d'un budget carbone qui est limité. Si on veut vraiment ouvrir une marge de manoeuvre pour les pays du Sud, pour avoir le développement le plus soutenable possible, il va falloir qu'on libère les ressources que l'on accapare aujourd'hui dans les pays du Nord", propose le chercheur.

En 2022, c'est la Chine qui a rejeté le plus de CO2, devant les Etats-Unis et l'Inde, selon le collectif Global Carbon project. Mais les plus gros émetteurs par habitant sont le Qatar, les Emirats arabes unis, organisateur de la dernière COP, et Bahreïn.