Il y a un manque de tolérance face aux autres opinions, selon près de trois quarts des Suisses

Un sondage de la SSR, réalisé entre avril et mai 2023, montre que les Suissesses et les Suisses sont près de trois quarts (72%) à trouver qu’il existe un manque de tolérance face aux points de vue divergents dans le pays. 

En Suisse, 72% des personnes estiment que leurs concitoyens devraient se montrer plus tolérants vis-à-vis des opinions divergentes. C'est ce qui ressort de la grande enquête nationale intitulée "Wie geht's, Schweiz?", réalisée par l'institut de sondage gfs.bern pour la Société suisse de radiodiffusion et télévision (SSR) au courant du printemps 2023.

Le sondage, qui portait sur plus de 300 questions, a réuni les avis de quelque 57'000 personnes. Au sein de ce large panel, les répondants n'étaient pas astreints au questionnaire complet, mais à des blocs thématiques. Un total de 8820 sondés ont ainsi répondu au bloc thématique sur certaines "valeurs" du vivre ensemble.

Si, au niveau suisse, 72% des personnes trouvent que leurs concitoyens sont intolérants lors des débats face aux autres points de vue, au Tessin, ils sont 84% à le penser, largement au-dessus de la moyenne nationale.

En outre, si on scinde les répondants en deux groupes, avec d'un côté les végétariens et les personnes qui limitent leur consommation de viande, et, de l'autre, le reste de la population, les premiers sont respectivement 77% et 76% à exprimer vouloir plus de tolérance face aux autres opinions, alors que le reste de la population - les "non-végétariens" et les "non-flexitariens" - n'exprime un tel désir que dans 63% des cas.

Les étrangers qui vivent en Suisse perçoivent, eux aussi, sensiblement plus ce problème. Ils sont 78% à trouver qu'il manque de tolérance en Suisse. Les personnes avec une double citoyenneté suisse et étrangère sont 73% à penser la même chose et les Suisses 71%.

Enfin, en regard à l’affiliation politique, les partisans de l’UDC sont la seule catégorie - parmi toutes les catégories socio-économiques ou culturelles confondues et retenues par les analystes de gfs.bern - où cette position consistant à regretter le manque de tolérance obtient seulement une majorité relative (48%).

L'invisibilisation des problèmes sociétaux, un phénomène alémanique?

A l'assertion: "En Suisse, on ne parle généralement pas des problèmes sociétaux", 66% des Suissesses et des Suisses répondent "plutôt vrai" (44%) ou "tout à fait vrai" (22%), trouvant ainsi que l'on tait trop ces problèmes.

Ce pourcentage diminue en fonction de la hausse du revenu des ménages, passant de 75% de réponses affirmatives pour les personnes qui gagnent jusqu’à 3000 francs à 58% de réponses affirmatives pour celles qui gagnent plus de 9000 francs. L'importance donnée aux problèmes sociétaux se réduit en fonction de l'appartenance à des classes socio-économiques plus privilégiées.

Plus surprenant, les Suisses romands se démarquent très nettement des autres régions linguistiques sur cette question. Seulement 44% d'entre eux pensent que les problèmes sociétaux sont trop souvent passés sous silence. A contrario, en Suisse italienne et alémanique, les répondants pensent à une forte majorité (respectivement 62% au Tessin et 72% en Suisse allemande) qu'on ne parle généralement pas des problèmes sociétaux. Les données brutes du sondage ne permettent toutefois pas d'expliquer ces différences régionales.

La sécurité devrait parfois primer sur les libertés

Une majorité de 63% des répondants pense que pour des raisons de sécurité, parfois, les libertés doivent être restreintes, avec 50% de "plutôt vrai" et 13% de "tout à fait vrai". Il reste cependant un tiers de la population qui n’est pas d’accord avec des telles restrictions. Plus généralement, c'est un thème qui divise, notamment en fonction des régions linguistiques, des revenus et des affiliations politiques.

Ainsi, à hauteur de 70%, les Suisses italiens sont les plus prêts à accepter des restrictions des libertés pour garantir la sécurité, suivis par 64% des Suisses alémaniques, tandis que les Romands, avec 55% de réponses affirmatives, sont les plus divisés.

Les personnes avec des salaires plus bas sont moins enclines à accepter ces restrictions par rapport aux autres. Les personnes avec des salaires inférieurs à 3000 francs ne sont que 57% à être favorables à une restriction de liberté pour des mesures de sécurité. Les personnes gagnant de 3000 à 5000 francs ne sont, elles, que 52% à y être favorables. Les catégories salariales supérieures oscillent entre 64% et 69% d'acceptation de ces restrictions de liberté éventuelles.

Autre catégorie, les personnes sans affiliation politique dégagent une majorité relative d’acceptation (49% de "pour"/46% de "contre"). Les partisans de l’UDC (54%) soutiennent beaucoup moins ces mesures que les partisans des autres partis (de 65% à 75%).

Les Suisses se sentiraient facilement insultés

Une majorité de 59% des répondants pense que la plupart des Suisses se sentent facilement insultés, contre 32% d’opinions opposées, et 9% d'absention.

Il n’y a pas beaucoup de différence par rapport à la moyenne nationale dans les différentes catégories analytiques, sauf entre régions linguistiques.

Les Suisses alémaniques sont les plus critiques. Ils sont 64% à trouver "plutôt" ou "tout à fait vrai" que leurs concitoyens se sentent trop facilement insultés. Les Suisses italiens sont 57% dans ce cas. Les Romands ne sont que 42% à soutenir cette assertion.

Droit d'offenser: un clivage politique, linguistique et de genre

La population est divisée sur la possibilité de dire ce que l'on veut même si cela peut offenser les autres. Une courte majorité s'y oppose (52%), avec une proportion importante de la population qui y est favorable (46%).

La question divise nettement les genres: les femmes sont opposées (61%) en proportion plus haute que la moyenne nationale, tandis que les hommes sont majoritairement favorables (56%).

L’opinion varie aussi entre les régions linguistiques: une majorité des Suisses alémaniques y est opposé (54%), les Suisses italiens sont divisés avec 47% de pour et de contre et 6% qui ne se prononce pas, tandis que les Romands y sont favorables (54%).

Parmi les partisans de l’UDC, il y a une forte majorité favorable à la liberté de dire ce qu’on veut, les personnes sans affiliation politique sont divisées, tandis que les partisans des autres partis sont majoritairement opposés.

Moins d’un tiers (31%) de la population évite souvent de parler de ses opinions politiques, et 68% ne voient pas de problème à leur expression.

Cette proportion se retrouve presque dans toutes les catégories, excepté parmi les étrangers, qui évitent beaucoup plus souvent (50% des répondants) d'en parler.

Intolérance face aux autres avis

Y compris pour les points de vue extrêmes, il existe des groupes au sein desquels l'opinion de chacun peut être encore renforcée. Les médias sociaux semblent cultiver de telles chambres d'écho. Comment un discours constructif peut-il encore aboutir ? Une conversation avec l'auteur Laura de Weck et le philosophe Romy Jaster.

Agnes Wuthrich

https://pilot-prod-videos.s3.eu-west-1.amazonaws.com/fr/old-cerulean-stork_de_DEEPGRAM-WHISPER.vtt

L'intégralité de la philosophie de Sternstunde sur ce sujet peut être consultée ici.

Le ton se durcit dans les débats

Podcast - C'est quoi la "cancel culture"?

Déboulonnage de statues ou appels à boycott de personnalités sur les réseaux sociaux: les exemples où le terme "cancel culture" a été brandi sont multiples et donnent l’impression d’une expression "fourre-tout". Décryptage de ce terme venu des Etats-Unis. 

L'expression "cancel culture" a d’abord été utilisée par des détracteurs de certains mouvements sociaux qui en critiquaient les dérives. Parmi eux, l’ancien président américain Donald Trump.

Si l’expression a été largement médiatisée avec l’avènement du mouvement #MeToo sur les réseaux sociaux, le fait de mettre en cause des personnalités publiques existe depuis plus longtemps. "Dans les années 70, le Mouvement de libération des femmes à Genève avait fait circuler une liste de gynécologues à boycotter", rapporte Sarah Kiani, historienne des mouvements sociaux, chercheuse à l’Université de Neuchâtel et au Centre Marc Bloch à Berlin.

Quand on pense aux cas Matzneff ou Duhamel, ils ont amené #MeToo à amener le débat

Ce qui dérange, c’est l’attaque à la liberté d’expression, une certaine forme de censure qui rend impossible le débat. C’est ce que déplore notamment le dessinateur de presse Patrick Chappatte. "Quand on commence à vouloir faire taire ou demander des excuses, c’est là que ça va trop loin." Pour Sarah Kiani, au contraire, certains cas ont soulevé le débat. "Quand on pense aux cas Matzneff ou Duhamel, ils ont amené #MeToo à porter le débat", conclut-elle.

Qu'est ce que la "cancel culture"?

Peut-on dire ce que l'on pense?

Insultes et menaces contre la classe politique, un phénomène désormais fréquent

La députée vaudoise d'Ensemble à gauche Mathilde Marendaz a reçu mercredi une lettre anonyme inquiétante, adressée à son domicile privé, où des menaces de mort sont clairement prononcées. Ces menaces s'ajoutent à d'autres proférées à l'encontre de politiciennes et politiciens à travers le pays ces dernières années.

Les propos sont d'une rare violence et font froid dans le dos. Dans le courrier anonyme que Mathilde Marendaz a reçu chez elle cette semaine, on lui souhaite la mort. "Tu vas brûler comme Jeanne d'Arc", peut-on lire entre autres.

Le ou les auteurs menacent aussi de lui enfoncer "une lame de 20 centimètres" dans la colonne vertébrale. "Non, on ne va pas te tuer, mais t'handicaper à vie sale p***", poursuit le document.

La lettre anonyme a été partagée sur Instagram par l'élue d'Ensemble à Gauche qui se dit très affectée par ces menaces et a annoncé qu'elle allait déposer une plainte pénale.

Mais Mathilde Marendaz n'est de loin pas la seule élue à être menacée. En Suisse, les témoignages de politiciennes et politiciens victimes d'insultes ou de menaces sont légion et ce, à tous les échelons politiques.

A l'image du cas de l'élue vaudoise, les menaces peuvent parfois être très violentes. Elles se matérialisent par des lettres, des e-mails ou des colis mais peuvent aussi se présenter sur les réseaux sociaux ou même directement dans la rue. Il n'est d'ailleurs plus rare de voir des élus sous protection policière lors de certaines apparitions publiques.

Il existe des statistiques pour les personnes protégées par la police fédérale, à savoir les conseillers fédéraux, les parlementaires et les employés de la Confédération. Ainsi, Fedpol a dénombré l'an dernier 528 signalements de menaces, 68 étant effectives et pénalement répréhensibles.

Pourtant, le phénomène global reste difficile à chiffer. De l'aveu même de la police fédérale, ces données ne représentent que la pointe de l'iceberg, car toutes les menaces ne sont pas systématiquement signalées.

En 2021, au plus fort de la crise sanitaire, le nombre de menaces envers le corps politique avait littéralement explosé, avec 1215 signalements sur l'année. Depuis, le climat s'est un peu apaisé, mais le nombre de signalements reste à un haut niveau. Selon Fedpol, "le ton demeure particulièrement violent et le contenu des menaces très préoccupant".

La police fédérale pointe en particulier les réseaux sociaux, où les débats sur des thèmes polarisants se font sans retenue et avec un certain sentiment d'impunité.

Des politiciens visés lors des élections et des votations

En pleine campagne pour les élections fédérales, la classe politique connaît une période de forte attention médiatique. En plus des insultes ou menaces, il est courant de voir certaines affiches arrachées ou taguées.

Cette semaine, dans le canton de Fribourg, des affiches du PLR ont par exemple été vandalisées avec des tags où l'on pouvait lire "arrêtez de voter pour des nazis". A Zurich aussi, une affiche de campagne d'Andri Silberschmidt (PLR) a été dégradée, avec des symboles censés rapprocher le conseiller national sortant d'Adolf Hitler et du nazisme.

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<blockquote class="twitter-tweet" data-width="550" data-lang="fr"><p lang="de" dir="ltr">Heute am Bahnhof Oerlikon. Ist dies die Toleranz der Toleranten? <a href="https://t.co/GifaK3lrzv">pic.twitter.com/GifaK3lrzv</a></p>&mdash; Thomas Aeschi (@thomas_aeschi) <a href="https://twitter.com/thomas_aeschi/status/1699768597382394272?ref_src=twsrc%5Etfw">7 septembre 2023</a></blockquote>
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Mais les campagnes électorales sont toutefois souvent moins vives que lors de certaines votations, très polarisantes. En 2021, lors des initiatives sur les pesticides, le climat avait par exemple été très délétère, avec de nombreuses menaces de mort, des insultes, des affiches taguées ou incendiées. Une élue verte avait même fini sous protection policière après un débat à la télévision.

Haine envers les élus

Lorsque le Grand Conseil manque de bonnes manières

Au parlement tessinois, les travaux de la dernière législature ont été marqués par l'agressivité et le manque de respect : réflexions de députés

"Arrêtez d'être stupide !" "Je comprends que tu aies besoin d'apprendre la langue," "Mais est-ce qu'on veut donner ce spectacle ? Je m'en vais, je suis désolé." C'est un petit florilège d'exclamations qui a résonné des jours durant dans la salle du Grand Conseil tessinois à la fin de la dernière législature cantonale. Elles amènent à réfléchir sur le fait que cette législature n'a pas été la plus brillante, ni en termes de débat, ni en termes de politesse dans la dialectique de la salle d'audience : les attaques personnelles, l'agressivité, l'impolitesse conduisent inévitablement à des dérives, à la perte de contrôle et de discussion.

Sur le sujet, nous avons recueilli les réflexions de 4 parlementaires qui ne se sont pas représentés aux élections. Maristella Polli, par exemple, a quitté le Grand Conseil après 16 ans avec une certaine amertume : "Quand on s'adresse institutionnellement aux conseillers d'Etat, on ne peut pas s'adresser à eux en disant "Toi, Vitta !". Vous ne pouvez pas vous adresser à vos collègues du Parlement en disant 'la stupidité politique de vos collègues...'" La députée du FDP signale également d'autres manquements aux bonnes manières : au Parlement, "on ne vient pas bavarder pendant l'exposé d'un collègue à la Tribune", tout comme "on n'entre pas et on ne sort pas sans arrêt, peut-être même en allant au bar, en buvant ou en fumant une cigarette...."

Pour sa part, Claudio Franscella souligne que sur fond d'irrespect "nous avons assisté à des débats très durs, au-delà de la limite acceptable." Le député du Centre, qui a également présidé aux débats durant la législature, met aussi en cause le rôle de la fragmentation politique et la présence accrue de députés issus de forces politiques plus modestes. Pour eux, "la session parlementaire devient la seule occasion de faire entendre leur opinion, y compris par les médias, et d'aller de plus en plus à la confrontation". Tout a donc changé, affirme-t-il, "mais aussi parce que le mode de communication a changé".

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SEIDISERA du 16.03.2023 : Le Grand Conseil tessinois, "ne peut plus débattre" / CSR

Michele Foletti a également assuré la présidence du Grand Conseil. Et au terme de son expérience parlementaire, il constate que les députés "sont plus intéressés par l'espace et la visibilité sur les médias sociaux que par le débat". Selon ce membre de la Lega, la capacité à débattre s'est également quelque peu perdue, "parce qu'on crie ses propres thèses, sans même écouter ce que ceux qui ne pensent pas de la même manière ont à dire".

Selon Daniela Pugno Ghirlanda, qui a quitté le Grand Conseil après 7 ans, la situation s'est aggravée "parce que ce comportement ne peut s'expliquer que par la présomption de ceux qui se conduisent mal qu'ils ont tout compris". Il en ressort donc le sentiment qu'"il n'y aura pas de possibilité de compréhension, parce que le terrain n'est pas propice à la compréhension". Pour cette raison, il exprime un souhait pour l'avenir: "Faire peu de choses, mais les faire à fond. Et qu'il y ait une écoute des personnes qui ont une expertise dans un certain domaine", déclare le représentant du SP.

Disputes entre élus

Répondez à nos questions

Comment discutez-vous du conflit au Moyen-Orient ?

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Comment la société peut-elle discuter de manière constructive du conflit au Proche-Orient ? SRF News s'est entretenu avec deux experts de l'Institut zurichois pour le dialogue interreligieux.

Nouvelles de la SRF : Comment percevez-vous le débat actuel ?

Hannan Salamat : Je remarque qu'il y a de moins en moins d'espaces où les nuances de gris sont autorisées. Mon observation est que les gens pensent que dans un conflit qui a tant de dimensions et tant de côtés, ils doivent prendre clairement parti et avoir une position. Et ce qui me fait peur, c'est qu'il y a de moins en moins de place pour les entre-deux, c'est en train de devenir un ou l'un ou l'autre.

La diversité d'opinion signifie une différence d'opinion, et le dialogue joue un rôle essentiel.

Les terribles événements du 7 octobre sont parfois interprétés de manière totalement différente quant à leur cause. Comment entamer une discussion ?

Dina Wyler : Avec humanité. Il n'est pas nécessaire d'être un expert du Moyen-Orient. Le problème, c'est que nous voulons nous priver les uns les autres de notre chagrin. Tant que nous faisons cela, nous ne pouvons pas parler du conflit. Nous devons reconnaître la grande souffrance que connaissent actuellement tant de personnes. Et ce n'est qu'en faisant preuve d'une solidarité radicale les uns envers les autres que nous pourrons jeter les bases d'un dialogue.

Hannan Salamat, vous visitez les écoles et conseillez les enseignants sur la manière d'aborder le conflit au Moyen-Orient. Il s'agit de la médiation, comment la mettre en œuvre concrètement ?

Salamat : Plus précisément, il s'agit d'une culture du débat. Il n'y a pas d'harmonie dans une société pluraliste. En d'autres termes, nous avons des opinions différentes, nos histoires ont des perspectives différentes. La diversité d'opinion signifie une différence d'opinion, et le dialogue joue un rôle essentiel. Comment pouvons-nous débattre de manière constructive en tant que société ? Où voulons-nous aller, comment voulons-nous vivre ensemble ?

Nous pensons qu'il faut remporter l'argument dans une discussion.

Wyler : Et si je peux ajouter quelque chose, nous devons apprendre à changer de perspective, en particulier dans un conflit aussi incroyablement complexe que celui du Moyen-Orient. Et surtout, nous devons également reconnaître que la multiplicité des points de vue est justifiée.

Pourquoi de nombreuses personnes trouvent-elles si difficile de discuter des nuances ?

Wyler : C'est la grande question. Je pense que c'est parce que nous pensons que nous devons gagner un argument, parce que pour beaucoup de gens, en particulier ceux qui sont touchés, beaucoup de choses sont en jeu. Nous ne nous écoutons plus les uns les autres, mais nous parlons en vase clos de deux récits, dont certains peuvent même être tous les deux vrais. Nous devons parvenir à donner de l'espace à toutes ces voix différentes.

On pourrait dire que la manière dont nous discutons du conflit au Proche-Orient en Suisse n'est pas très importante. Comment répondre à cette question ?

Wyler : Je pense que cette affirmation provocatrice est aussi trompeuse, parce que tout ça nous concerne tous, ici en Suisse, en Europe. Nous lisons des articles sur les incidents antisémites, qui se multiplient dans le monde entier. Le racisme anti-musulman est en hausse. Nous faisons partie de cette population où ces choses se produisent. Hannan et moi ne sommes pas des experts du Moyen-Orient. Mais nous faisons partie de la société suisse et nous avons une vision de ce à quoi cette société devrait ressembler et de la manière dont nous devrions et pouvons interagir au mieux les uns avec les autres. Et c'est la responsabilité de chacun.

L'entretien a été mené par Sandro Della Torre.

Conflit israélo-palestinien

"L'antisémitisme désordonné d'aujourd'hui est redoutable précisément parce qu'il est imprévisible"

Giacomo Jori, professeur extraordinaire de littérature italienne à l'Université de la Suisse italienne et coordinateur du centre "Judaica", s'exprime

Depuis le 7 octobre et l'attaque du Hammas en Israël, plus d'une centaine d'actions contre des Juifs ont été recensées en France. Cependant, l'alerte est donnée dans toute l'Europe, à tel point que l'on parle dans de nombreux milieux  - et déjà avant aujourd'hui - d'un retour de l'antisémitisme, notamment parce que la haine du Hamas à l'égard d'Israël est taxée d'antisémitisme. Est-ce vraiment le cas ? Des décennies après la Shoah, devons-nous encore faire face à l'antisémitisme en Europe ? Et encore une fois, si l'attaque du Hamas contre Israël a des racines antisémites, comment devrions-nous juger le gouvernement Netanyahu et en particulier sa politique à l'égard des Palestiniens ?

Nous en discutons avec Giacomo Jori, professeur extraordinaire de littérature italienne à l'Université de la Suisse italienne, rédacteur en chef adjoint de la "Rivista di Storia e Letteratura Religiosa" et codirecteur des "Lettere Italiane". Jori coordonne les activités scientifiques du centre "Judaica" de la Fondation Goren Monti Ferrari.

Professeur, commençons par le début. Qu'est-ce que l'antisémitisme ?

Il y a des années, j'ai eu affaire à un auteur italien, Mario Lattes, qui, pour décrire l'antisémitisme, cite quelques versets du Livre d'Esther : "Il y a un peuple dispersé parmi les autres peuples, dans toutes les provinces de ton royaume, dont les lois sont différentes de celles de tout autre peuple, et qui n'observe pas les lois du roi, de sorte qu'il n'est pas convenable pour le roi de le laisser vivre." Dans la Bible, il y a donc déjà une prise de conscience de la diversité d'un peuple, qui devient un objet de persécution.

L'Europe est également sortie de la Shoah grâce à sa mémoire, aux dizaines de témoins qui ont raconté ce qui s'était passé pour que cette noirceur ne se reproduise plus jamais. Cette mémoire n'est-elle plus suffisante ?

"Non, ce n'est plus suffisant, et ça ne l'a pas été, comme le montre le sang des dernières décennies ; de plus, il faut maintenant tenir compte de la diminution du nombre de témoins, qui s'amenuise fatalement d'une génération à l'autre. La disparition inéluctable des témoins nous oblige à concevoir de nouvelles stratégies pour immuniser le corps social contre la violence raciste et l'antisémitisme. Aujourd'hui déjà, il est décisif de se référer aux textes capitaux des témoins, je pense tout d'abord à Si c'est un homme de Primo Levi.

Quelle est, selon vous, l'influence d'un vieux préjugé antijuif propre à la chrétienté ? En 1543, Luther a publié le pamphlet "Des Juifs et de leurs mensonges" ; puis, avec la Contre-Réforme, l'Église de Rome a institué les ghettos et l'Inquisition. Bientôt, le lexique antijuif, de religieux, est devenu politique jusqu'à s'épanouir dans l'antisémitisme contemporain. Cela a-t-il une incidence sur le retour de l'antisémitisme aujourd'hui ?

"Je ne crois pas que ce qui se passe soit un simple héritage de l'antisémitisme qui a mûri dans les milieux chrétiens. Cela ne me semble pas correspondre. D'autres raisons sont à l'origine de la violence à laquelle nous sommes contraints d'assister aujourd'hui".

Mais peut-on parler aujourd'hui du retour de l'antisémitisme ?

"Oui, et c'est ce que nous apprennent les journaux télévisés. Les croix gammées sur les synagogues, la destruction des pierres tombales et mémoriaux et de nombreuses autres formes de violence sont des gestes antisémites qui font peur même s'ils ne sont pas soutenus par un État, comme à l'époque d'Hitler. L'antisémitisme désordonné d'aujourd'hui est redoutable précisément parce qu'il est imprévisible, inorganisé, difficile à contrer et même à identifier. Là encore, cette nouvelle violence ne repose sur aucune idéologie reconnaissable, si ce n'est la xénophobie, la haine et la frustration génériques qui engendrent la violence. Je dirais qu'il s'agit d'un antisémitisme qui découle de la haine de la différence et qui se transforme en xénophobie et en racisme".

Revenons à aujourd'hui : comment distinguer les protestations contre les actions d'un gouvernement, par exemple celui de Netanyahou, de l'antisémitisme ?

"Il faut le faire et il faut le faire en faisant preuve de raison et en gardant à l'esprit qu'Israël ne coïncide pas à tous égards avec les Juifs et leur héritage historique et culturel. Depuis 1948, Israël est un État sur la scène internationale. Lorsqu'on examine les actions d'Israël, il faut donc d'abord appliquer les catégories de la raison et de la politique, et non celles de l'émotion et de l'affectivité. Il faut garder à l'esprit qu'Israël est né en réparation d'un génocide, et que cette genèse en fait un État unique, à l'égard duquel notre réflexion doit devenir plus attentive et plus vigilante. Mais il reste un État dont le travail historique est politique".

Si l'antisémitisme est de retour, ou s'il n'est jamais parti, quelles défenses utiliser ?

"Comme je l'ai dit, je me concentrerai sur les récits écrits et sur le cinéma, mais sur les classiques et non sur la fiction. L'art et la pensée devront prendre la place du témoignage ; ils seront notre "témoignage" en tant qu'hommes et citoyens européens".

Oct. 18, 2023 : Un hôpital de Gaza touché