L'UDC Suisse combat l'initiative des syndicats sur l'AVS. Mais l'opinion de l'UDC est divisée. Surtout en Suisse romande et au Tessin. Le vote pourrait se jouer sur la frontière linguistique et briser le schéma classique gauche-droite.

Julien Furrer

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C'est la première surprise pour la votation du 3 mars 2024: peu avant Noël, la section genevoise de l'UDC a décidé de soutenir l'initiative demandant l'introduction d'une 13e rente AVS.

La décision a été prise après une "discussion animée", explique le nouveau président du parti, Lionel Dugerdil, qui a récemment succédé à sa prédécesseuse Céline Amaudruz. "Nous avons des retraités à Genève qui ont de la peine à joindre les deux bouts à la fin du mois". Le oui doit être considéré comme un signal pour le pouvoir d'achat des seniors, poursuit Lionel Dugerdil. "Genève est chère. Vivre ici coûte nettement plus cher que partout ailleurs en Suisse."

Une 13e rente AVS coûterait environ 4,1 milliards de francs lors de son introduction. Et plus encore les années suivantes, au fur et à mesure du vieillissement de la population. Tôt ou tard, des recettes supplémentaires seront donc nécessaires. En cas d'introduction de la 13e rente AVS, la rente annuelle maximale augmentera de 2450 francs pour les personnes seules et de 3675 francs pour les couples mariés. Et les prestations complémentaires ne doivent pas être réduites en raison de la 13e rente mensuelle.

L'UDC Suisse n'adoptera sa position que lors de l'assemblée des délégués du 27 janvier. Toutefois, le groupe parlementaire de l'UDC s'est déjà clairement prononcé contre l'initiative.

Et pourtant, l'initiative émanant des milieux de la gauche et des syndicats bénéficie de la sympathie des délégués de l'UDC. Il y a aussi des partisans de l'initiative en Valais. Ainsi, l'UDC du Bas-Valais a opté pour la liberté de vote sur cette question.

L'assemblée des délégués de l'UDC Vaud a également été le théâtre d'un débat animé. Bien que l'UDC Vaud ait rejeté l'initiative, le débat a été animé dans la salle. "Nous devons prouver que nous nous engageons pour nos seniors et leur pouvoir d'achat. C'est pourquoi nous devons dire oui à l'initiative", s'est écrié un jeune délégué de l'UDC dans la salle pendant le débat. Trop dangereux et trop cher, ont rétorqué les opposants.

L'UDC du canton du Tessin envisage également de voter oui. Selon le correspondant tessinois Marcel Niedermann, cela s'explique par le niveau élevé de pauvreté chez les personnes âgées et par les salaires, qui sont sous pression en raison des frontaliers. En outre, la Lega, le parti frère de l'UDC au Tessin, a déjà adopté le "Oui". Le même sentiment prévaut dans le canton du Jura, où le oui à l'initiative pourrait également l'emporter, explique Rolf Dietrich, correspondant à l'étranger.

La position de l'UDC - oui ou non à l'initiative - pourrait donc se jouer sur la frontière linguistique. L'orientation de l'initiative et le rôle joué par les dissensions du Rösti- et du Polentagraben seront révélés le 3 mars.

La 13ème rente AVS divise l'UDC

La 13ème rente profite-t-elle aux bonnes personnes?

Des milliers de seniors basculent dans la pauvreté à la retraite

Les écarts de richesse sont très marqués dans la population retraitée en Suisse. Alors que la majorité peut subvenir confortablement à ses besoins, une personne âgée sur cinq vit sous, ou frôle, le seuil de pauvreté. Près de 50'000 seniors n’ont pas de réserves pour compenser leurs faibles revenus.

Avec leurs maigres retraites, sans prestations complémentaires ni épargne, Bernard et Pierrette Apothéloz ont le plus grand mal à s’acquitter des factures courantes. Leur situation financière ne leur permet d’absorber aucun imprévu. «On est toujours dans l’eau jusqu’au cou», image le mari, «très stressé» par l’argent. Ces dernières années, le couple a vu avec angoisse augmenter les coûts de la santé et de la plupart des produits de base.

Nous rencontrons les époux dans leur petit appartement à Neuchâtel, lors d’un de leurs rendez-vous avec une assistante sociale de Pro Senectute. L’organisation, engagée pour la dignité des personnes âgées, propose notamment des consultations sociales et des aides aux seniors en difficulté financière.

Depuis cinq ans qu’ils sont tous les deux à la retraite, il est déjà arrivé aux époux de désespérer face à une facture de dentiste impayable ou de ne plus savoir comment remplir les assiettes. «On était à la fin du mois et on n’avait même plus 20 francs pour faire les commissions, se souvient Pierrette Apothéloz. Avec ça, même en ne prenant que le nécessaire, il faut faire de sacrés calculs.»

Le couple rogne sur les dépenses non essentielles. «Je ne peux plus faire de cadeaux à ma femme», se désole Bernard Apothéloz. Il a tiré un trait sur ses loisirs, si ce n’est le club de cartes une fois par semaine et «un café ou une bière de temps en temps». Lorsqu’il se rend en ville, c’est toujours à pied. Sa compagne ne s’octroie plus que ses cigarettes. Les septuagénaires se replient sur eux, car il est devenu trop cher de recevoir - et «peut-être aussi par complexe» vis-à-vis de leurs amis plus aisés.

Comme ces Neuchâtelois, près de 9% des plus de 65 ans disent avoir beaucoup de difficulté à joindre les deux bouts, selon l’Office fédéral de la statistique (OFS).

La retraite cristallise et amplifie les situations

Une étude commandée par Pro Senectute estime que plus de 200’000 personnes retraitées (près de 14%, contre 6% de la population active) vivent avec un revenu inférieur au seuil de pauvreté et environ 100’000 autres se situent à la limite. Au total, un senior sur cinq peut être considéré comme pauvre ou proche de basculer dans la pauvreté.

Les femmes, les personnes à bas niveau de formation ou encore les populations étrangères sont plus exposées que le reste de la population. En somme, tous les profils susceptibles d’avoir eu des métiers à bas revenu ou des carrières morcelées, qui se reflètent ensuite dans une rente très basse, résume Rainer Gabriel, chercheur à l’Institut de la diversité et de l’intégration sociale à l’Université des sciences appliquées de Zurich (ZHAW).

Avant la retraite, Bernard Apothéloz travaillait en kiosques, où il effectuait les inventaires. Il touchait environ 4800 francs par mois, une paie qui ne lui permettait guère d’épargner (le salaire médian actuel en Suisse avoisine les 6700 francs), mais avec laquelle il s’en est «toujours sorti sans dettes». Aujourd’hui, il s’agit de vivre avec 4800 francs par mois, mais à deux.

Les revenus du ménage se composent de leurs rentes AVS et de la prévoyance professionnelle du mari. Pierrette Apothéloz a travaillé elle aussi, mais pas en continu. Il y a eu un arrêt de plusieurs années pour élever son fils, et une retraite anticipée forcée par un licenciement à 62 ans. Résultat, une rente AVS incomplète. Son 2e pilier, dont elle a choisi de retirer la totalité en arrivant à la retraite, a rapidement fondu. A l’époque, dit-elle, elle en a eu besoin pour régler des affaires familiales, mais elle regrette aujourd’hui «une immense bêtise».

Bien qu’il se partage ce que perçoit en moyenne une personne seule bénéficiaire d’un 1er et d’un 2e pilier, le couple est encore loin du seuil de pauvreté, qui se situe à 3064 francs par mois pour un ménage composé de deux adultes sans enfant à charge – un seuil jugé trop bas par l’organisation de lutte contre la pauvreté Caritas.

Les époux se sont vu refuser les prestations complémentaires (PC), des aides étatiques non imposables, destinées à compléter les retraites insuffisantes pour assurer les besoins vitaux. Ils perçoivent chaque mois environ 300 francs de trop pour y prétendre. Or les PC vont de pair avec la prise en charge des frais médicaux et conditionnent l’octroi d’autres aides. Par effet de palier, une fois les prélèvements obligatoires payés, «ils vivent avec moins que des bénéficiaires des PC», résume leur assistante sociale Céline Omerovic. Selon elle, le couple est «typique des ‘AVS poor’» - par analogie avec les «working poor».

Les PC sont déterminantes pour maintenir la tête des plus précaires hors de l’eau, car la rente AVS seule suffit rarement à garantir le minimum vital. Seuls 7% des seniors qui vivent encore chez eux perçoivent ces aides, mais ils seraient plus nombreux à y avoir droit. Selon le chercheur Rainer Gabriel, beaucoup de personnes éligibles aux PC n’en font pas la demande, soit parce qu’elles ignorent leur existence, soit parce qu’elles s’y refusent. «On estime que le non-recours est très prononcé dans ces générations, car la honte de demander une prestation sociale est plus forte.»

Piocher dans son patrimoine? Pas si facile

La réalité de cette précarité est facilement occultée par la bonne situation financière globale du troisième âge en Suisse. Le système de retraite helvétique est en général considéré comme efficace pour protéger contre la pauvreté dans la vieillesse, note Rainer Gabriel. Le taux de privation matérielle des plus de 65 ans en Suisse est par exemple l’un des plus bas d’Europe -et deux fois moins élevé que pour les 18–64 ans.

Les personnes retraitées ont en général acquis de l’épargne et du patrimoine tout au long de leur vie active. «L’analyse courante est donc que ce n’est pas grave si elles ont un bas revenu, car elles ont de l'immobilier à vendre ou de la fortune à utiliser pour compenser», explique Rainer Gabriel. Il est vrai que l’on observe dans cette tranche d’âge la plus grande concentration de richesse. Une bonne moitié des plus de 65 ans disposent de plus de 100’000 francs d’avoirs dits liquides, c’est-à-dire mobilisables à court terme. C’est aussi le cas de 40% des retraité-es dont les revenus sont inférieurs au seuil de pauvreté.

Mais le chercheur de la ZHAW rappelle qu’il existe de grandes disparités de situations. D’abord, les possessions ne sont pas toujours liquides. Cas typique: l’immobilier. Outre le fardeau que représente un déménagement à un âge avancé, vendre son bien pour prendre une location n’est pas forcément une bonne affaire si l’on tient compte du montant des loyers.

Autre exemple, le couple Apothéloz envisage de vendre sa petite voiture, gagnée lors d’un concours. «Elle nous coûte, c’est inévitable», admet l’épouse. Mais leur assistante sociale avertit que d’autres problèmes en découleraient. La septuagénaire marche avec peine et l’appartement est mal desservi par les transports publics. Cette voiture leur sert pour les courses. «Y renoncer impliquerait de déménager, précise Céline Omerovic, et il serait quasiment impossible de retrouver un loyer aussi modéré.»

Et surtout, une frange conséquente de la population retraitée ne dispose tout simplement pas de leviers pour compenser ses revenus. Selon l’OFS, quasiment 16% des plus de 65 ans n’ont pas de réserves financières substantielles, et 11% n’auraient pas de quoi faire face à une dépense imprévue de 2000 francs. En étant prudente, l’étude de Pro Senectute évalue pour sa part à au moins 46'000 le nombre de personnes âgées dans une «pauvreté sans issue», dépourvues de toute forme d’épargne ou de patrimoine.

De manière générale, conclut Rainer Gabriel, les seniors disposent de moins de mécanismes que la population active pour s’en sortir – le premier étant le travail. Raison pour laquelle la pauvreté est beaucoup plus persistante dans le grand âge.

Un petit geste pour les personnes retraitées

En automne 2022, le Parlement a accepté une hausse de 2,5% des rentes AVS pour 2023, afin de compenser l’inflation. La motion adoptée demande aussi que les rentes soient régulièrement adaptées à l’avenir au renchérissement, dès qu'il atteint plus de 2% sur un an. La revalorisation de l’AVS représentera entre 6 et 75 francs par mois selon le niveau des rentes. Bernard et Pierrette Apothéloz percevront chacun 30 francs de plus.

En revanche, le Conseil national (la Chambre basse du Parlement) a refusé en décembre 2022 une initiative populaire lancée par l'Union syndicale suisse, qui réclamait le versement d’une 13e rente AVS mensuelle pour les personnes retraitées. La gauche, qui défendait l’utilité de la mesure pour les personnes les plus pauvres, s’est heurtée à la majorité bourgeoise qui invoquait les coûts supplémentaires. Le peuple aura toutefois le dernier mot de la votation populaire du 3 mars 2024.

Texte relu et vérifié par Samuel Jaberg.

Beaucoup de retraités menacés de pauvreté

Toujours les mêmes arguments - La résistance catholique à l'AVS

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Autre époque, mêmes arguments

Répondez à nos questions

Femmes et pensions. Deux solutions, mais laquelle est la meilleure ?

Avec la réforme de l'AVS, les générations de transition peuvent cesser de travailler à l'âge de référence ou plus tôt, mais avec une réduction.

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La réforme de l'AVS, acceptée en votation populaire en 2022, est entrée en vigueur au début de l'année. Le point le plus controversé a été le relèvement de 64 à 65 ans de l'âge de la retraite pour les femmes. Nombreux sont ceux qui s'interrogent sur les modalités de ce changement et sur ses conséquences pour les femmes qui approchent de l'âge de la retraite ces prochaines années.

Avec cette réforme, la retraite s'est éloignée dans le temps pour de nombreuses femmes. Mais l'application des nouvelles règles se fera progressivement, comme l'explique Simon Tellenbach, de la société de conseil VZ Vermögenszentrum. "Les femmes qui atteignent 64 ans cette année ne sont pas concernées. L'âge de référence pour la retraite sera relevé de trois mois chaque année à partir de 2025." Cela signifie que les femmes nées en 1960 prendront toujours leur retraite à 64 ans. L'augmentation se fera ensuite par étapes et, à partir des femmes nées en 1964, l'âge de référence pour la retraite sera de 65 ans.

"Les femmes des générations de transition ont deux options. Soit elles partent à la retraite à l'âge de référence et reçoivent un complément de pension, soit elles partent à la retraite plus tôt, mais avec une réduction", souligne M. Tellenbach. En pratique, dans les années à venir, les femmes pourront soit travailler jusqu'à l'âge normal de la retraite et recevoir une pension plus élevée, soit choisir de prendre leur retraite à 64 ans, mais avec une pension réduite.

Autre nouveauté. Avec l'entrée en vigueur de la réforme, l'âge de la retraite devient flexible pour les deux sexes. L'idée est de rendre plus attrayant le fait de travailler au-delà de 65 ans. Entre 63 et 70 ans, il sera possible de ne percevoir qu'une partie de la pension. Une personne pourra donc, par exemple, travailler à temps plein jusqu'à 65 ans, travailler à 50 % les deux années suivantes et recevoir la moitié de l'AVS, puis passer à 20 % et enfin prendre sa retraite à 69 ans.

"En ce qui concerne l'AVS, décider de travailler plus longtemps peut avoir des avantages, surtout si vous avez des lacunes de cotisation ou si vous n'avez pas encore atteint votre rente maximale. En effet, désormais, les cotisations versées après l'âge de référence augmentent les rentes."

Avec ce système plus flexible, combien de personnes décideront de travailler au-delà de 65 ans? L'avenir nous le dira.